Lorsque l’on parle d’une range (mot anglais qui signifie « éventail ») au poker, on entend les différentes mains possibles d’un adversaire à un moment précis dans une main. Cette déduction sera réalisée à l’aide des informations que l’on aura obtenues plus tôt dans la main. Certains pourront aussi parler de « combos » au lieu de parler de range. Un combo est simplement une combinaison de 2 cartes (une main de Texas Hold’em est constituée de 2 cartes cachées reçues aléatoirement).
Si on vous distribue 2 cartes aléatoires parmi les 52 cartes du paquet, vous recevrez l’un des 1176 combos suivants
Même si vous ne recevrez qu’un seul combo (une main précise), on dira alors que votre range est de 100% puisque nous n’aurons pas suffisamment d’informations pour restreindre l’éventail de vos mains possibles.
Un des aspects intéressants du Texas Hold’em est que l’on peut folder (coucher) la main que l’on reçoit pour en restreindre notre range. Une range est donc un ensemble de mains probables selon une situation donnée.
Par exemple, si un joueur relance en position UTG, il ne le fera pas avec 100% de ses mains. Il aura une range précise pour le faire qui variera selon plusieurs facteurs. Une range probable ressemblera à ceci :
L’utilité de connaître et de comprendre les ranges est double; d’un côté, nous avons une meilleure idée des mains profitables à jouer selon les situations et de l’autre, nous pouvons restreindre les mains possibles de notre adversaire selon les situations, pour nous permettre de mieux le lire (par lire, il est entendu d’estimer avec précisions ses mains possibles).
Donc, si notre joueur ouvre UTG et qu’il est un joueur standard, il n’a plus 100% des mains de départ, mais 15,4% de celles-ci. Et s’il se fait 3bet par un joueur en position UTG+1 et qu’il 4bet ensuite, sa range passera de 15,4% quelque chose comme 4,25% :
Plus vous serez à l’aise à déterminer avec précision la range de votre adversaire, meilleures seront vos décisions contre lui.
Connaître les ranges de nos adversaires à des moments précis de la main permet de connaître notre équité approximative dans la main. L’équité est le pourcentage du temps que l’on remportera une main si les mains vont à l’abattage. Par exemple, si je suis all in avec JJ contre la range de 4,25% de mon adversaire, mon équité sera la suivante :
Nous venons donc de glisser quelques mots sur les ranges d’ouverture préflop. Maintenant, voici quelques informations pertinentes sur d’autres types de ranges dont vous entendrez parler à profusion sur les forums de poker ou dans les livres théoriques sur le poker.
Les ranges polarisées
On dira d’une range qu’elle est polarisée lorsqu’elle contiendra des mains très fortes et des mains moins fortes (surtout utilisées en bluff ou en semi-bluff). Une range de 3bet polarisée ressemblera à ceci :
Vous retrouvez la partie très forte constituée de QQ, KK, AA, AKs et AK et une partie en semi-bluff constituée de connecteurs assortis et de quelques as assortis comme A5s.
Cette range pourrait être utilisée de la petite blinde par exemple pour 3bet contre un open-raise du cutoff ou du bouton.
L’avantage d’une range polarisée est qu’elle est balancée. Autrement dit, quand votre adversaire vous verra le 3bet, il ne pourra pas simplement assumer que vous êtes toujours au top de votre range avec seulement des mains fortes ou toujours en bluff. Il est important de polariser ses ranges dans certaines situations pour ne pas être un joueur facile à lire. Un joueur qui 3bet seulement quand il a KK et AA devient vite identifié et il ne sera pas long pour lui qu’il perde son action chaque fois qu’il 3bet.
L’autre avantage de la range polarisée est qu’elle est simple à jouer. Par exemple, le bouton ouvre (open-raise), vous faites un 3bet avec KK et votre adversaire 4bet. Vous pouvez alors 5bet ou pousser all in, selon la taille des tapis. Maintenant, imaginez que vous avez 56s au lieu de KK. Avec cette main, vous n’auriez qu’à folder et passer à la main suivante. Vous n’aurez jamais de décisions difficiles à prendre avec une range polarisée.
Les ranges linéaires
À quoi ressemble une range linéaire ?
Voici donc, 78 combos, mais cette fois, présentés de manière linéaire. Linéaire signifie simplement que l’on prend les mains les plus fortes (le top de la range). Dans notre range polarisées, nous avions une partie très forte et une partie en semi-bluff, mais dans la range polarisée, nous avons le même nombre de combos de mains, mais choisis parmi les mains les plus fortes.
Cette range pourrait aussi être une range de 3bet d’un joueur en position SB contre un joueur qui ouvrirait en position cutoff ou bouton. Si par exemple vous décidez de 3bet votre petite blinde avec une approche linéaire plutôt que polarisée, sachez que vous vous retrouverez parfois dans des situations difficiles. Par exemple, si vous faites un 3bet avec une main comme TT, que ferez-vous contre un 4bet? La main est probablement trop forte pour être couchée, mais pas assez forte pour être poussée all in et le fait de caller un 4bet hors-position vous mettra dans une position très inconfortable après le flop. Il ne sera pas simple de jouer votre paire de 10 quand vous n’aurez une overpaire au flop que 25% du temps.
Les ranges mergées
Vous entendrez sûrement parler à l’occasion des ranges « mergées ». Le mot anglais « merge » signifie « fusionner ». Une range mergée est donc une range fusionnée. Une range polarisée est par définition une range mergée puisqu’elle comprend deux types de ranges; une partie « en value avec la nuts » et « une partie en bluff ».
Parfois le terme peut être plus vaste et ne s’appliquera pas toujours au jeu préflop. Imaginez le tableau suivant :
Un joueur qui pousserait all in sur ce tableau avec une range dites « merge » pourrait le faire avec la nuts (77), avec des mains très fortes (AA, JJ, A7), avec des bluffs (n’importe quelle main qui inclut le K de cœur blocker est une excellente main à bluffer) et peut-être même des mains fortes, sans être des mains très fortes (une main comme AK par exemple). Une range merge est donc plus diffuse.
En résumé, si un joueur n’est pas 100% du temps en value ou 100% du temps en bluff, on pourra dire qu’il a une range mergée.
Les ranges capées
On dira qu’une range est capée quand nous pourrons réduire cette range à quelques combos spécifiques qui ne donneront pas la nuts sur un board donné. Par exemple, vous ouvrez une main en position UTG et un joueur très tight vous 3bet de la petite blinde. On peut s’entendre que sa range ressemblera à ceci :
Maintenant, imaginez-vous caller le 3bet de ce joueur. Le flop tombe ainsi :
On dira alors que vilain a une range capée puisqu’il ne pourra pas avoir la nuts ni même une main très forte comme 66, 77 ou 88. Nous avons ici utilisée les informations de la street précédente au flop (préflop) pour tirer cette conclusion sur sa range de flop.
Notez ici que la range non-capée préflop devient une range capée au flop.
Il est important de savoir bien déterminer les ranges capées pour être en mesure de bien identifier les situations favorables au bluff. Un bon joueur voudra bluffer sur les boards sur lesquels son adversaire sera capé, c’est-à-dire sur lesquels il ne pourra pas avoir la nuts.
Précisions sur les ranges capées
Une range capée n’est pas la même chose qu’une range faible. Cette précision est importante. Une range peut être forte, mais, en relation avec le board, être capée, puisqu’elle ne pourra pas faire la nuts. Comme nous l’avons vu plus haut, un joueur tight qui 4bet très peu n’aura jamais la nuts sur un tableau de type 4-5-6-7-T. Sa range demeure forte, mais capée dans la mesure où sa main maximale (cap) sera une overpaire. Si votre plan est de bluffer dans cette main sous prétexte que le vilain est capé, il est possible que votre bluff ne fonctionne pas. Vous aurez besoin d’un bon « read » sur votre adversaire pour savoir qu’il est capable de coucher une overpaire. À l’inverse, soyez toujours conscient qu’un bon joueur pourra vous bluffer régulièrement dans les situations où il jugera que votre range est capée.
Comprendre les ranges pour mieux jouer
Lors d’une main de poker, il faut toujours avoir en tête votre range et le range de vos adversaires. Le but ultime au poker serait de connaître les deux cartes exactes de votre adversaire. Comme ce n’est évidemment pas possible, le mieux à faire restera de restreindre le plus possible la range de votre adversaire pour avoir l’idée la plus précise de celle-ci. Comprendre les ranges vous permettra aussi de savoir quand bluffer et quand un adversaire sera susceptible de vous bluffer. Dites-vous que vos adversaires aussi se questionneront en permanence sur votre range.
Comprendre les ranges pour mieux bluffer
Imaginez le scénario suivant : Vous ouvrez UTG et le flop tombe A-K-Q.
Disons que votre main de départ est 7-8 en cœur. Vous avez complètement raté le flop, mais votre range perçue (l’idée que vos adversaires se feront de votre range) aura frappé ce flop très fort.
Seulement 9,68% du temps vous n’aurez pas frappé ce flop (no made hand). Pour cette raison, vous voudrez faire un cbet avec votre 78s sachant que vos adversaires devront vous donner beaucoup de crédit puisque la majorité du temps vous aurez une main sur ce flop. Pour le dire autrement, vous blufferez le flop étant donné votre range perçu.
L’outil présenté plus haut est nommé Flopzilla, un outil qui indique la fréquence à laquelle une range en particulier frappe un board précis. Si l’étude des ranges vous intéresse, cet outil vous sera aussi utile qu’un marteau à un menuisier.
Les éléments pour déterminer une range avec précision
Chaque action d’un joueur vous donnera de l’information pour déterminer sa range. S’il relance en position de la petite blinde, vous savez que sa range sera plus large que s’il relance en position UTG. La range change aussi selon les types de joueurs, c’est pourquoi il est important de prendre des notes sur chacun d’eux. Certains joueurs vont ouvrir 10% de leurs mains en position UTG alors que d’autres vont en ouvrir 15% ou même 20%. Si un joueur ouvre préflop, sa range passera de 100% à disons 15% selon la position. Si ce joueur 4bet, sa range passe de 15% à 4%-5%. S’il mise le flop, sa range se précisera encore plus. S’il mise le flop et la turn, sa range est encore plus précise. Utilisez donc chaque information disponible pour évaluer précisément la range de vos vilains.
N’hésitez pas non plus à catégoriser vos vilains. Certains joueurs ont des ranges de bluffs plus grandes que d’autres. La connaissance de la range de vos adversaires vous permettra aussi de savoir si une main est profitable à jouer ou non.
Par exemple, vous êtes en tournoi et un joueur pousse all in sur son bouton avec 15 grosses blinds. Vous savez qu’il peut faire ce jeu avec 15% de sa range. Vous avez A8s et vous voulez savoir si le call est profitable. Comme vous avez une idée assez bien détaillée de sa range, vous pouvez savoir de manière mathématique si le call avec A8s est profitable ou non :
Intuitivement, plusieurs joueurs pourraient penser que le call est bon, mais en y regardant d’un peu plus près, nous remarquons que notre équité (43,233%) est plus faible que l’équité de la range qui pousse all in. Rappelons que l’équité est le pourcentage du temps où vous remporterez la main à l’abattage.
Perfectionner sa connaissance des ranges
Pour jouer un poker gagnant, vous devrez pouvoir identifier les différents ranges rapidement :
Range d’open-raise UTG
Range d’open-raise du BTN
Range de 3bet du SB vs BTN
Range de 4bet du BTN vs 3bet SB
Range de cbet sur un board A high
Range de cbet sur un board coordonné (par exemple, 7-8-9)
Etc.
Si vous êtes intimidés par l’apprentissage des ranges, la première chose à faire sera de débuter par mémoriser les ranges d’open-raise préflop selon les positions, non seulement pour savoir quelles mains jouer de toutes les positions, mais aussi, pour avoir une idée générale des mains possibles de votre adversaire lorsque vous jouerez une main contre lui. Allez-y une étape à la fois. Après quelques mois seulement, les ranges n’auront plus de secret pour vous.
